Dans
les généalogies comme la mienne, ils forment le gros des troupes,
bataillant au quotidien pour gagner leur pain
(au sens propre), menacés par les famines, la disette, on les trouve
au détour de nombreux actes. On les distingue par un simple mot qui à lui seul est la trace d'une vie de lutte et de misère :
Journalier.
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Concours de fauchage - Sce : lamontagne.fr |
LE TRAVAIL DU JOURNALIER
Ils
ont été employés tant à la ville que dans les campagnes, pour
réaliser toute tâche nécessitant des bras, on les appelait aussi
« gens de peine », « manouvrier » ou
« laboureur à bras », ce dernier terme étant assez
représentatif de ces personnes qui ne possédant rien n'avaient que
leurs bras à louer dans l'espoir d'en tirer quelques subsides.
Parmi
mes ancêtres, "mes" journaliers vivaient principalement dans les campagnes où ils
représentaient 60% de la paysannerie. On distinguait, pour faire
simple, trois catégories de paysans :
- Le journalier qui ne possède d'outil que ses bras et selon les périodes et les régions vit dans une indigence proche de celle des mendiants.
- Le laboureur qui a un train de labour et quelques têtes de bétail. Son niveau de vie varie beaucoup de l'un à l'autre, pouvant parfois être presque aussi pauvre qu'un journalier, il lui arrive d'être aisé.
- Le fermier qui est un gros exploitant, proche du notable.
Le
journalier est celui qui pouvait travailler chaque jour 5000m2 de
terre. Il intervenait où il fallait de la main d'oeuvre :
semailles, labours, moisson, battage, fauchage, charbonnage, épandage
de fumier, ... on devait aussi botter, vendanger et rentrer les
récoltes.
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Fauchage d'une parcelle - Sce : FAO |
Le
travail s'il était dur était surtout incertain car variant selon
les saisons, selon la météo, selon les capacités de la personne...
Les
ressources « amassées » pendant les moissons par exemple
devaient permettre de traverser l'hiver pendant lequel on ne
trouverait pas d'embauche.
Possédant
parfois une masure et un lopin de terre, il pouvait faire pousser
quelques légumes comme des raves
LE PRIX DU PAIN ET DES CEREALES
Leur
rémunération consistait ensuite généralement pour partie en
nature : céréales, pain… (on pouvait ainsi être payé en
pourcentage du nombre de gerbes faites) auxquelles pouvaient
s'ajouter quelques rares piécettes ou unes remise de dettes.
Prenons
un exemple entre 1700 et 1750 :
(Ce
court article ne se veut pas une référence chiffrée mais juste un
rapide coup d'oeil. En la matière, vous trouverez d'excellents
ouvrages spécialisés).
Un
pain de 4 livres coûtait entre 8 et 12 sous selon la réussite des
récoltes et on en mangeait environ 800g par jour et par personne
(enfants compris).
Pour
un couple avec 2 enfants, il fallait donc entre 30 et 40 sous par
jour juste pour le pain.
Et un
journalier était payé entre 8 et 10 sous, 5 sous pour une femme, 3
sous pour un enfant...
Autre
exemple un siècle plus tard (1800-1810) :
Notre
journalier gagne environ 1,70 franc et trouvera du pain à 30
centimes.
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Mali - avenirsanspetrole.org |
JOURNALIER : UN GAGNE-PAIN PEU LUCRATIF
Pour
un journalier dans la force de l'âge et chargé de famille, un étude
a calculé qu'il fallait plus de 400 jours de travail par an pour
réussir à assurer le gite et le couvert aux siens....
malheureusement pour eux, l'année ne comportait pas 400 jours! Entre les dimanches et fêtes religieuses chômées, les
périodes de gel,... le nombre de journées de travail généralement
admis pour les journaliers du secteur agricole est d'environ 250.
Le
corollaire de cela : l'obligation pour l'épouse et les enfants
de travailler eux aussi. Mais les femmes n'étaient payés que la
moitié de ce que gagnaient les hommes, quant aux enfants, cela
dépendait de l'âge et de la tâche.
Dans
ces conditions, le décès ou la maladie du chef de famille lorsque
les enfants étaient encore en bas âge conduisait inévitablement à
une situation dramatique.
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Penjab - Pakistan |
Que le
travail soit dur était certain mais ces familles étaient
accoutumées à la rudesse. Ce qui rendait l'existence encore plus
compliquée étaient les variations du prix du pain.
L'espoir
de pouvoir mettre de côté pour gagner mieux était faible, on
rencontre cependant parfois au hasard des actes un ancêtre
journalier qui devient laboureur... peut-être a-t-il finalement
réussi à économiser les quelques piécettes gagnées, peut-être
a-t-il gravit l'échelle sociale au hasard d'un mariage... un petit
tour dans les archives notariales nous en dira parfois plus.
Sce : Association Arbre de vie |
Si
leur quotidien semble difficile à visualiser depuis nos maisons
chauffées et nos tables bien fournies, j'ai voulu pour cet article
utiliser uniquement des images actuelles, car ces dures journées de
labeur qui ne suffisent pas à nourrir ou à soigner les siens, cette
existence dure et parfois injuste quand une simple année difficile
suffit à voir les rations diminuer, ce que vivaient nos ancêtres
saison après saison est toujours aujourd'hui le mode de subsistance
de nombreuses familles à travers le monde.
- Sources
sur les métiers :
Les
métiers d’autrefois - Marie-Odile Mergnac, Claire
Lanaspre, Baptiste Bertrand et Max Déjean, Ed. Archives et Culture
- Source
sur les rémunérations et dépenses :
La
valeur des biens, niveaux de vie et de fortune - Thierry Sabot,
Ed. Thisa
De l'indigence à la très modeste aisance? Les journaliers de Normandie occidentale au XIXe siècle - Gabriel Désert, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/annor_0003-4134_1996_num_46_3_4735
- Sources sur le fauchage
2 commentaires:
Dans le Berry on les appelle "manoeuvre". Je leur rendrai hommage à l'occasion d’une autre lettre. Bonne poursuite pour le challenge !
Merci Elodie, je lirai ce billet avec grand intérêt.
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