14/01/2007

Le Vingt-neuf Février



Cahier de poésies couvrant la période du 29 février 1916 au 24 août 1929
Blanche HUREL (1850-1931)
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Le Vingt-neuf Février!!! Jour qui me renouvelle,
D'un premier grand chagrin, la date si cruelle,
Toi, qui tous les quatre ans peut seulement venir,
Je t'ai vu te lever, et te verrai finir,
Pour la première fois, depuis cinquante années,
Au culte du devoir fortement enchainées,
Sans qu'il me soit permis, en atteignant au but,
D'aller, à mon Aïeule, offrir mon pieu tribut,
De constante affection, ed regret inlassable!...
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Prisonnière au logis, sous le joug, haïssable,
D'un retour importun d'ancienne infirmité,
J'en ressens un ennui vraiment illimité,
Car, personne, aujourd'hui, ne va l'avoir fleurie,
La tombe vénérée, où sa cendre chérie
Repose, en attendant l'Instant Libérateur!
Dès longtemps, ormis moi, nul autre visiteur,
Ne venant réveiller, ou réjouir, son ombre,
De ceux qu'elle a connus s'étant dissous le nombre,
Et sa sainte mémoire, effroyable rancoeur,
N'ayant plus, ici-bas, ed temple, que mon coeur!
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Bientôt, hélas! bientôt, ceux de sa descendance,
Ne s'inquiéteront pas s'ils lui doivent naissance,
Vers leur source jamais ne remontant les eaux!
Quand je l'aurai rejointe au séjour des tombeaux.
Il n'est donc que trop vrai, qu'en ce monde, aucun être,
Ne saura, plus jamais, l'aimer ni la connaître,
Rien, malheureusemebnt, en écrit, en portrait,
N'ayant su fixer d'elle, aucun durable trait!
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Je les ai pourtant là, bien vivants, en mon âme,
Ce visage accueillant, ces doux yeux dont la flamme
Semblait tout embellir, de leur vive clarté,
Et répandre sur nous, joie et sérénité!....
Je me souviens aussi, qu'en mon complet ensemble,
Seule, parmi les siens, en tout, je lui ressemble,
Mais, combien différente, (on peut le remarquer)
Les ans ayant, sur elle, omis de se marquer,
Elle gardait, toujours, un aspect de jeunesse,
Un esprit inventif, subtil, plein de finesse,
Une aimable fraicheur : sous ses épais bandeaux
De teinte à peine grise, ainsi que des rideaux
Encadrant son front pur, vierge de toute ride,
Que de baiser toujours ma lèvre était avide,
Et que, j'aimais lisser, avec un soin jaloux,
Tandis que me tenant, enfant, sur ses genoux,
Elle me racontait d'amusantes histoires,
Qu'elle mêlait, parfois, aux récits de nos gloires.
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N'oublions pas, non plus, de son fond bienfaisant
L'immense charité, le ressort agissant,
De son coeur grand ouvert, quelle était l'étendue,
Quel secours effectif, sa main toujours tendue,
Offait, spontanement, à toutes les douleurs,
Dont elle tarissait secrètement les pleurs!....
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Ce que j'ai, cependant, vénéré plus en Elle,
C'est de m'avoir donné, des mères, le modèle,
Ce sublime idéal de toute perfection,
Objet de mon amour, de ma prédilection,
Qu'elle avait su former, vraiment à son exemple,
De si haute valeur, et de vertu si ample,
Et doter; à jamais, d'un merveilleux trésor,
Plus précieux mille fois que la science et que l'or,
Lui ayant inculqué, dès sa plus tendre enfance,
Des préceptes d'En Haut, la divine semence,
Une invincible horreur pour tout ce qui est faux,
Grande ardeur au travail, et le culte du beau.
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Au bonheur de chacun, employer son adresse,
Se sacrifier sans cesse, à force de tendresse,
Gâter les tout-petits, toujours à profusion,
Tel était son plaisir! en plus d'une occasion,
Elle l'a bien prouvé, l'adorable grand'mère!
Soucieuse d'écarter, des siens, la coupe amère,
Elle se réservait, en sa grande bonté,
Voilés sous le sourire, ennuis, anxiété :
C'est ainsi que célant, jusqu'à l'heure dernière,
Le mal qui l'oppressait, s'est close sa paupière!....
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Ce sont là documents capables de servir,
à sauver de l'oubli son précieux souvenir!....
Si cela se pouvait?... Si je pouvais prétendre
Que ma débile voix, du Ciel se fasse entendre,
Et m'obtienne de voir, d'une telle mission,
Avant mon dernier jour, la réalisation?....
Oui! Seigneur, empêchez qu'entière elle meure!
Ordonnez, qu'après moi, sa mémoire demeure,
D'âge en âge, transmise à ses derniers enfants,
Afin qu'ils sachent bien, s'ils restent triomphants
Des embuches du mal, et sentent en leurs âmes,
Pour le droit méconnu, brûler d'ardentes flammes,
Ou dans leur coeur, vibrer quelque chose de bon,
Que la vaillante Ancêtre en a légué le don,
En apportant la vie, à sa droite lignée,
N'importe le degré qui l'en tienne éloignée!....
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En regardant en soi, chacun pourrait y voir,
Apparaitre, comme en un magique miroir,
Quelque point saisissant d'exacte ressemblance,
Digne, certainement, de sa reconnaissance!....
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Jadis, on conservait, des héros valeureux,
Sur le marbre, gravés les exploits merveilleux;
Cet usage, observé dans les nobles familles,
Servait à enseigner, à leurs fils, à leurs filles,
Le respect des aïeux, l'estime de leur nom,
Le désir d'égaler, plus tard, leur grand renom,
Glorieux de reproduir, d'aussi parfaits modèles,
De la foi, du devoir, toujours champions fidèles;
Puis, à leur tour, passer à leurs générations,
Des plus hautes vertus, les saintes traditions,
Et le soin de garder, intact, en digne place,
Avec un juste orgueil, tout l'honneur de la race!...
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Si plus modestement, les nôtres ont passé,
Si de leurs plus hauts faits nul ne s'est empressé
De prendre bonne note et d'écrire l'histoire,
Cela ne prouve pas qu'ils vécurent sans gloire,
Et n'ont pu dépasser, par leurs beaux sentiments,
Ceux auxquels on dédia de pompeux monuments!
La meilleure nobless étant celle des âmes,
Que n'égalerait pas, même celle des armes,
Si on les séparaient, j'ai de bonnes raisons
Pour proclamer ici, qu'en nos humbles maisons,
S'épanouissent souvent les vertus les plus rares,
Ces fleurs, dont les palais sont parfois très avares;
Pourquoi n'en pas fixer les suaves odeurs,
La forme variable et les fraîches couleurs??....
Mais, pour mener à bien cette oeuvre de lumière,
Nous manque absolument, la matière première!....
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Si des temps révolus, sans guide, nous voulons
Tenter de remonter les disjoints échelons,
Après nos premiers pas, toujours en petit nombre,
Nous atteignons le vide, et ne voyons que l'ombre :
De même pour parler de ceux qui ne sont plus,
Présenter leur exemple, exalter leurs vertus,
Et rêver d'en garder l'exacte connaissance,
à ceux qui surviendront, après notre existence,
Il faudrait avoir su, par un constant effort,
Arracher leur mémoire à l'oubli de la mort?....
Lourdement engourdis dans notre quiétude,
Nous restons inconscient de notre ingratitude
Envers ces devanciers qui tinrent un noble rang,
Et dont nous sommes fiers de posséder le sang,
Cette contradiction, vraiment inexplicable,
Aux siècles ignorants seulement excusable,
A privé quelques uns, peut-être par légion,
De propager, du bien, la saine contagion!...
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Maintenant, il faut suivre un clair flambeau qui brille!
Comme les anciens Preux, ayons dans la famille,
Quelque livre d'or où, nous enregistrerons,
Ses faits les plus marquants, ses meilleures actions!
Réparons sans délais une erreur condamnable,
Nous hâtant d'en solder la dette misérable :
Moi-même, dès ce jour, me pressant de l'ouvrir,
Avec tout mon amour, je veux le recouvrir,
Ce livre précieux, sur sa première page,
Des louanges qu'on te doit ; acceptes en l'hommage¨
Ô, Grand'maman chérie! Et puisqu'en ton honneur,
Je vais l'inaugurer, porte lui donc bonheur!
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(29 Février 1916)

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